Sur les traces de l’expédition La Recherche : un voyage du Danemark au Spitzberg

La Recherche est une expédition scientifique à travers la Scandinavie. Elle débuta en 1838 et fut dirigée par Joseph Paul Gaimard, un médecin français. Ce voyage avait pour but d’approfondir les connaissances scientifiques sur les régions du Nord de l’Europe de façon à mieux comprendre ces territoires.

L’astronome Félix Savary “avait suggéré à Gaimard de faire des observations magnétiques, notamment de mesurer les variations diurnes d’inclinaison et de déclinaison, avec un soin particulier pendant les jours les plus courts et les plus longs. Il demande surtout de surveiller tous mouvements brusques de l’aiguille aimantée pendant l’apparition des aurores boréales. L’observation des marées et des courants marins fait aussi partie de ses recommandations”¹

Dans cet article nous n’allons pas nous concentrer sur les résultats scientifiques obtenus mais sur un des ouvrages publiés à la suite de cette expédition. Il s’agit d’un atlas rassemblant différentes lithographies, qui représentent les lieux observés pendant l’expédition. Il s’intitule Voyages de la Commission scientifique du Nord en Scandinavie et permet de donner un aperçu visuel de l’expédition menée au moyen de la corvette “La Recherche”.

Il existe deux tomes mais nous avons choisi de nous concentrer uniquement sur le premier qui se divise en quatre parties : Danemark, Îles Féroé, Norvège et Spitzberg. Par conséquent, notre analyse ne couvre qu’une partie de l’expédition et qu’une partie de la Scandinavie. La Suède et la Finlande sont présentées dans le deuxième tome. Nous avons eu accès à ce livre, grâce à la ressource Gallica, une bibliothèque numérique comme le livre n’était pas disponible physiquement.

Nous avons choisi de nous pencher sur l’aspect cartographique du voyage afin de comprendre les choix des lieux explorés et les choix de représentation, entre les paysages idylliques du Nord où la nature domine et les architectures impressionnantes dans certaines villes majeures de Scandinavie. Quand on parle de représentations du Nord, nous pouvons penser au concept d’imaginaire du nord. Daniel Chartier explique :

Existent donc des « représentations », souvent occidentales, du Nord et de l’Arctique, facilement accessibles et d’une grande cohérence (simplifiée) sémiologique, et des « cultures » du Nord, certaines bien connues (de Russie, de Scandinavie) et d’autres totalement méconnues – des autres espaces circumpolaires et des Autochtones². 

A travers les gravures présentes dans l’atlas, nous avons pu observer différents éléments, qui nous ont permis de comprendre l’influence de certains acteurs dans la représentation du Nord. Quels lieux, quelles personnes ont été représentés dans l’Atlas ? Quelle représentation du Nord est donnée à travers l’Atlas ?

A la découverte d’Heurist et Gephi : 

Heurist :

Pour obtenir nos résultats nous avons utilisé Heurist, un logiciel qui permet de créer des bases de données relationnelles. Cela signifie que les données présentes dans la base de données sont liéés les unes aux autres et ne sont pas indépendantes.

Nous avons créé différents “records” pour chaque image de l’atlas puis nous les avons liés à d’autres records : la localisation de l’image (par exemple si l’image représente la Bourse de Copenhague, nous l’avons reliée à la position géographique de la Bourse de Copenhague), et l’auteur. Ainsi, nous obtenons trois types de records différents (image, auteur et lieu), reliés les uns aux autres. Cela a permis de créer des réseaux.

Pour exploiter ces résultats, nous avons différents outils présents directement sur Heurist. Nous sommes servies de l’outil “map” (une carte du monde avec tous les records ayant des coordonnées géographiques), l’outil “network” (montre la base de donnée relationnelle sous forme de réseau) et l’outil “crosstabs” (pour créer des tableaux en sélectionnant les données de notre choix). Pour avoir accès à ces outils, il suffit de se rendre sur le menu “explore” dans Heurist, à gauche de l’écran. Ensuite vous pouvez vous servir des différents outils à droite de l’écran, comme sur l’image ci-dessous.

Gephi :

Pour compléter nos représentations des réseaux et la cartographie des records enregistrés,  nous avons utilisé nos données exportées de Heurist pour les importer vers Gephi.

Gephi est un logiciel qui permet de créer des visualisations de réseaux de manière plus précise et plus modulable que sur Heurist en ajoutant, modifiant la couleur des liens, records, nœuds pour rendre plus clair le rendu final. Il est également possible de filtrer, zoomer et ajuster les paramètres visuels pour trier les informations qui nous sont utiles. L’application à une fonctionnalité d’analyse des réseaux et permet de mesurer la centralité d’un lien ou d’un record en augmentant sa taille par exemple.

Dans notre analyse, Gephi nous à servi a obtenir des cartes plus précises de certaines données que nous avons pu isoler mais aussi cartographier la carte en fonction de points importants. Pour obtenir des résultats sur Gephi nous avons tout d’abord importé les fichiers Heurist au format CSV (format de fichier lisible par Heurist et Gephi). A ce stade après l’importation sur Gephi nos données sont classées sans nous permettre une bonne compréhension des résultats.

Résultats : quels acteurs sont présents et quelle représentation du Nord

Les artistes :

En prenant une vision globale des résultats, on observe deux grands nœuds au centre desquels se trouvent les deux peintres principaux : Mayer et Lauvergne. On remarque également d’autres peintres, bien qu’ils soient moins présents dans la vue d’ensemble des acteurs. 

Il semblerait que certains artistes soient plus liés à un type de représentation particulière, Mayer est associé aux représentations de Copenhague, tandis que Lauvergne est plus représenté au Spitzberg. Cela suggère que certains peintres avaient leurs spécialités, en se concentrant soit sur des bâtiments et des villes, soit sur des paysages.

En ce qui concerne les lieux de naissance ou de mort des artistes, la plupart des acteurs présents lors de l’expédition venaient de Paris et, plus largement, de France. Le livre est également publié par ordre du Gouvernement français. Cela suggère que les représentations ont été sélectionnées et reproduites par des Français pour un public français, ce qui pourrait indiquer un manque d’objectivité dans leurs points de vue. 

Les lieux et personnes représentées :

Comme expliqué plus haut, nous nous concentrons uniquement sur le premier volume de l’atlas de la Recherche, qui illustre une première expédition n’incluant que le Danemark, les Îles Féroés, la Norvège et le Spitzberg.

Grâce à l’outil “crosstabs” d’Heurist nous pouvons observer ci-contre le nombre de lieux représentés par pays. Il faut noter que dans notre base de données relationnelles les lieux de naissance et de mort des artistes sont aussi entrés, d’où la présence de la France et de l’Allemagne dans ce tableau. Il faut aussi enlever un lieu dans le Danemark étant donné qu’un artiste est né au Danemark.

La Norvège contient aussi le Spitzberg, il faut donc retirer les différents lieux représentés au Spitzberg. Ils sont au nombre de quatre : Bell-Sound, la Baie de la Madeleine, Smeremberg et l’Île de l’ours. Ainsi, il y a 66 lieux différents représentés en Norvège, ce qui reste un nombre nettement supérieur par rapport au Danemark, au Spitzberg et aux Îles Féroé.

Dans l’atlas une plus grande diversité de lieux est représentée pour la Norvège. On pourrait penser qu’il y a plus de représentations de la Norvège car ils y ont peut-être passé plus de temps pendant leur expédition.

Carte obtenue avec Gephi :

Nous avons pu retracer le voyage de l’expédition de La Recherche grâce aux lieux mentionnés dans l’atlas, que nous avons enregistrés sur Heurist. Ensuite, Gephi nous à permis de rendre visible tout les nœuds mentionnant des lieux. Et grâce aux coordonnées géographiques enregistrées nous avons obetenu des points que nous avons pu superposés sur un fond de carte.Le fond de carte provient du site Open historical Maps qui nous à permis d’avoir un fond de carte représentant les limites des différents pays de l’époque (1838).

Ainsi nous avons pu nous rendre compte de la montée progressive vers le Nord, qui était le point final de cette expédition.

Il faut aussi noter que les points présents en France et en Allemagne correspondent aux lieux de mort et de naissance des artistes et non à des lieux représentés dans l’atlas.

A présent, nous allons observer pour chaque territoire, dans leur ordre d’apparition dans l’atlas, les cartes Heurist recensant tous les lieux enregistrés. De plus, nous observons quelles personnes sont représentées lorsqu’il y en a.

Danemark :

Sur cette carte du Danemark, il y a une forte concentration des gravures représentées à Copenhague. La capitale est le lieu le plus représenté du Danemark. On retrouve de nombreuses lithographies de bâtiments célèbres tels que la Bourse de Copenhague ou bien le château de Rosenborg. Les autres gravures se situent autour de Roskilde et Hillerød, qui restent des villes relativement grandes.

Les paysages représentés sont majoritairement citadains. Il y a quelque gravures plus rurales mais on y voit toujours, un bâtiment ou un paysan, montrant une trace de vie.

Enfin, dans la partie sur le Danemark de l’Atlas, il y a quelques portraits. Nous retrouvons par exemple, Adam Oehlenschläger (un poète et dramaturge danois), Hans Christian Ørsted (un physicien danois) ou bien le roi Christian VIII. Il s’agit à chaque fois d’hommes avec un statut important et une classe sociale élevée.

Îles Féroé :

Sur la carte Heurist des Îles Féroé, comme au Danemark, il y a une forte concentration des images autour de la captiale. Tórshavn est le lieu le plus représenté aux Îles Féroé.

Il n’y a aucun portrait mais nous appercevons des personnes sur quelques gravures ainsi que des habitations et d’autres bâtiments.

Toutefois, par rapport au Danemark, il y a des gravures où il ne semble pas y avoir de traces de vie, où juste la nature est représentée. C’est le cas de l’image 34 par exemple qui représente le Mont Skaebling³.

Norvège :

Sur cette carte de la Norvège, nous pouvons oberver une grande diversité de lieux représentés, tout au long de la Norvège. Il ne semble pas y avoir une ville centrale comme au Danemark et aux Îles Féroé. Même s’il semble y avoir plus d’images au Sud et au Nord de la Norvège.

Les gravures de la Norvège représentent tout autant des grandes villes comme Trondheim ou Christiania (ancien nom d’Oslo), tout comme des paysages ruraux. Il y a également des représentations de la nature, comme celle de la Baie de la Corne⁴.

De plus il y a des représentations de personnes, mais il s’agit uniquement de Samis, en consutmes traditionnels. Contrairement au Danemark il n’y a pas de représentations d’hommes de lettre ou de pouvoir.

Spitzberg :

Sur la carte du Spitzberg, nous observons uniquement deux lieux représentés. Il faut aussi prendre en compte l’Île de l’ours qui n’apparait pas sur cette carte, mais une gravure la représente.

Ces deux lieux sont Bell-Sound et la Baie de la Madeleine. Ces lieux correspondent aujourd’hui à des parcs nationaux. Les gravures représentent de splendides paysages où la anture domine.

En effet, il n’y a pas de représentation de bâtiments ou de personnes das la partie sur le Spitzberg, comme s’il n’y avait aucune trace de vie.

Conclusion et recommandations :

Pour conclure, Heurist et Gephi ont permis de faire apparaître les artistes et les mettre plus en avant qu’en lisant simplement l’atlas. Auguste Mayer est l’artiste ayant réalisé le plus de gravures dans l’atlas. De plus, une majorité d’artistes se concentre autours de Paris. Nous pourrions penser que les artistes ont une manière similaire de représenter le Nord.

En observant nos résultats, nous avons l’impression que la Scandinavie devient de plus en plus inhabitée et sauvage au fur et à mesure que nous montons vers le Nord. Nous partons du Danemark où Copenhague est représenté en majorité, avec des paysages très citadins jusqu’au Spitzberg où il ne semble y avoir aucune trace de vie.

Si vous souhaitez en apprendre plus sur le sujet vous pouvez consulter d’autres articles tel que, celui de Jean-François Battail.  L’Appel du Grand Nord. Entre fascination exotique et curiosité scientifique porte sur l’émergence de l’intérêt pour exploration du grand Nord, du boréalisme et de l’expédition La Recherche.

On peut également retrouver des œuvres contemporaines à notre sujet, comme le livre de Léonie d’Aunet, femme de François Biard (présent lors de l’expédition) qui explique le voyage de son point de vue dans Voyage d’une femme au Spitzberg publié en 1854. Il est aussi possible de consulter en ligne, le deuxième atlas qui complète l’expédition auquel nous nous sommes référés.

Enfin, si le sujet des humanités numériques vous intéresse, n’hésitez pas à consulter les autres articles sur le sujet présent sur le site feuillets du nord.

1. Frédérique Rémy. Les expéditions polaires de Paul Gaimard, 2018, p.2 [↩]
2. Chartier Daniel. « Qu’est-ce que l’imaginaire du Nord ? », Études Germaniques, vol. 282, no. 2, 2016, §3 [↩]
3. Voyages de la Commission scientifique du Nord en Scandinavie. 1, Danemark, Norvège, Spitzberg, 1852, p.81 [↩]
4. Voyages de la Commission scientifique du Nord en Scandinavie. 1, Danemark, Norvège, Spitzberg, 1852, p.261 [↩]

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