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‘‘The Frozen North”: De quoi ça parle ?

Dans le cadre d’un cours sur les humanités numériques, nous avons appris à manipuler divers outils à des fins d’analyse pour voir plus loin que simplement des mots dans un ouvrage. Ces outils nous ont permis d’avoir une autre approche, davantage scientifique.

Page de couverture "The Frozen North", Des hommes chassant un morse sur un paysage glacé.
Page de couverture “The Frozen North”, Des hommes chassant un morse sur un paysage glacé.

Étude sur les mythèmes.

Intense cold and the hardships of ice navigation have made the discovery and exploration of this region very slow and hazardous”.

The Frozen North est un carnet de voyage relatant plusieurs explorations du grand Nord, de différents protagonistes n’ayant pas de liens directs entre eux. Il s’agit d’un ouvrage écrit par Edith Horton datant de 1904, il existe une réédition en 1911.

Au fil de ces 169 pages, l’auteure a compilé le déroulement d’explorations diverses du XIXe siècle n’ayant pas pour objet la même aire géographique et temporelle, mais racontant des événements sur l’exploration du grand Nord. Nous retrouvons diverses illustrations et schémas expliquant des phénomènes, des concepts, et des reproductions de certains paysages. Le récit s’appuie sur des événements et personnages réels dont nous avons de la documentation et des traces aujourd’hui, tel que Sir John Franklin ou encore le très célèbre Fridtjof Nansen. Quand l’auteure utilise la notion de « Nord », elle l’entend au sens géographique du terme, englobant les territoires au-delà du cercle polaire. C’est pourquoi des aventures qui se passent en Alaska et au Groenland figurent dans l’ouvrage. J’apporte cette précision car, étant donné le titre « The Frozen North », un lecteur non renseigné pourrait y voir a priori un lien unique avec le pôle nord et le cercle arctique.

C’est ici qu’arrive une théorie dans mon domaine de recherche en études nordiques, les « Mythèmes ». Si je devais essayer de donner une définition simple, en m’appuyant sur les recherches de Thomas Mohnike, je dirais qu’un mythème est un élément narratif relatant des faits factuels, fictionnels. Ils font partie d’un complexe de mythèmes ; certains mythèmes peuvent être structurant pour ce groupe de mythèmes. Par exemple dans le cas de notre ouvrage portant sur le grand Nord, des plaines glacées recouvertes de neige (élément) est un mythème du grand Nord (complexe de mythèmes). Des aurores boréales ou des eskimos (ancien concept péjoratif pour les peuples inuites) sont également des mythèmes. Il s’agit donc d’un élément faisant directement référence à quelque chose de plus vaste, de l’ordre du mythe et nous amène à nous intéresser aux liens de corrélation entre ces éléments1.

Il était important d’apporter cette précision, étant donné que ma question de recherche tourne autour de cette notion centrale qui sont les mythèmes. En effet, j’aimerais tâcher de répondre à la problématique suivante : « Comment sont représentés les mythèmes au sein de l’ouvrage, et quels sont les éléments qui les définissent ? ». Je répondrais à cette question au fur et à mesure de cet article en commençant tout d’abord par expliquer tout le processus ayant amené à ces réponses. Dans ce qui suit, je vais présenter tout le travail effectué en amont pour pouvoir analyser l’œuvre, en retraçant le chemin depuis le livre imprimé jusqu’à l’interprétation des résultats en passant par la description des outils utilisés, la lecture et les analyses quantitatives.

The north polar regions lie within the Arctic circle, and at their center is the North Pole. The distance from the circle to the pole is more than fourteen hundred miles. Intense cold and the hardships of ice navigation have made the discovery and exploration of this region very slow and hazardous.

It is believed that Norsemen from Norway and Sweden, after colonizing Iceland, made settlements on the Greenland coast and carried their seal hunting beyond the Arctic circle, far into the polar regions. But in 1347 a plague broke out in Norway, and the people forgot their far-off colonies. For more than a hundred years after this no attempt was made to enter the Arctic circle.

Edith Horton, The Frozen North, 1904.

I : Processus

1 – OCR

La source originale de cet ouvrage est une source physique, un livre palpable. Or, nous désirons pouvoir intégrer notre texte dans des outils numériques, dans des logiciels. Comment créer des données informatiques à partir d’une œuvre physique ? Tout commence par un “OCR”, “Optical character recognition”. Il s’agit d’un procédé dans lequel nous scannons un document textuel (ici le livre) qui va permettre à un ordinateur de reconnaître et identifier les caractères du texte. En d’autres termes, l’ordinateur ne va pas considérer le scan du document textuel comme une image mais bien comme un texte, avec des mots qu’il reconnaîtra. Néanmoins, l’océrisation (le nom de ce procédé) fait parfois des erreurs. Cela peut être dû par exemple à la mauvaise impression du texte de base, faussant la reconnaissance des lettres. Il faut donc opérer un “nettoyage”, il s’agit simplement du fait d’effectuer une vérification humaine, en lisant le texte et en tentant de repérer les anomalies sur un logiciel comme Notepad++.

De plus nous pouvons pendant le nettoyage supprimer le texte qui nous sera inutile dans l’optique de notre travail de recherche. Comme nous nous basons sur le contenu de l’œuvre, certains éléments tels que des copyrights, des remerciements, la table des matières ou encore l’indication qu’à un endroit précis du texte figurait une image nous est peu pertinent, et risquerait de fausser nos résultats. C’est pourquoi l’océrisation, bien plus qu’un travail à vocation d’exactitude concernant l’identification du texte, est une action primordiale suivant l’objectif de la recherche.

2 – Voyant Tools, Gephi, Laboratoire des Mythèmes

Le nettoyage étant effectué nous pouvons désormais traiter ces données. Au cours de nos expérimentations, nous avons surtout utilisé ceux cités précédemment. Nous avons commencé par utiliser l’outil Voyant Tools qui est un site internet avec une pléthore d’outils pour traiter des données textuelles. Cela permet de créer des visualisations simples mais assez claires et accessibles. Sur l’image “a)” nous pouvons observer les mots les plus présent dans le texte sous une visualisation aléatoire et colorée. La position et la couleur de cette visualisation n’offre aucune information si ce n’est que de la clarté.

a) Voyant Tools : Outil "Cirrus" Mots avec le plus d'occurrence dans le texte.
a) Voyant Tools : Outil “Cirrus” Mots avec le plus d’occurrence dans le texte.

Nous pouvons également générer des visualisations du style de l’image “b)“, où nous voyons l’emplacement d’un mot dans le texte. Ici c’est le mot “Ice” qui est analysé, on peut voir que le mot revient 256 fois dans le livre. Cet outil est intéressant dans l’optique d’une analyse linguistique sur l’usage du mot dans le texte. Si l’on avait choisi de rentrer le terme “Eskimo” qui figure aussi dans le texte, nous aurions eu une idée plus ou moins précise sur la façon dont ils sont décrits. Il suffirait de regarder quel genre de mots ou d’adjectifs figurent dans la phrase.

b) Voyant Tools : Outil "Contextes" Position du mot "Ice" dans le texte, à côté de quels mots il se trouve la plupart du temps.
b) Voyant Tools : Outil “Contextes” Position du mot “Ice” dans le texte, à côté de quels mots il se trouve la plupart du temps.

Si nous poussons l’analyse encore plus loin, nous pouvons utiliser des outils comme Le Laboratoire Des Mythèmes pour générer des données sur la grammaire narrative de notre texte et ensuite traiter ces données avec le logiciel Gephi , qui nous propose énormément de paramètres différents pour générer nos visualisations. Pour créer ces visualisations, j’ai dû dans un premier temps récupérer des données traitées par Le Laboratoire des Mythèmes. Dans l’image “c)“, j’ai voulu représenter l’importance d’un mythème défini, symbolisé par sa taille sur le schéma. Il figure également les liens entre les mythèmes, et ce par des traits plus ou moins marqués signifiant l’intensité de ce lien, son poids. De plus, les mythèmes sont aussi organisés par types de mythèmes, comme le montre l’image “d)” Par exemple si un mot est un chronotope, un concept, une action…

c) Gephi : Outil "Graphe" Mythèmes avec le plus d'occurrence et leurs liens entre eux, organisés par communautés.
c) Gephi : Outil “Graphe” Mythèmes avec le plus d’occurrence et leurs liens entre eux, organisés par communautés.
d) Gephi : Outil "Tableau de données" Type de communauté suivant le mot.
d) Gephi : Outil “Tableau de données” Type de communauté suivant le mot.

Pour finir, nous pouvons remarquer sur les images “e)” et “f)” une visualisation du Laboratoire des Mythèmes nous permettant de faire sensiblement la même chose qu’avec Gephi, mais avec une dimension beaucoup plus collaborative. En effet si un mot est inconnu dans la base de données, nous avons la possibilité de l’ajouter et de le définir pour élargir la précision de l’outil.

e) Laboratoire des Mythèmes : Outil "Graphe" Mythèmes avec le plus de liens entre eux et distinction de la nature de ces mythèmes.
e) Laboratoire des Mythèmes : Outil “Graphe” Mythèmes avec le plus de liens entre eux et distinction de la fonction de ces mythèmes.
f) Laboratoire des Mythèmes : Le mythème "Ship" reconnu comme un acteur du texte et ses liens avec d'autres mythèmes.
f) Laboratoire des Mythèmes : Le mythème “Ship” reconnu comme un acteur du texte et ses liens avec d’autres mythèmes.

II : Résultats

Maintenant que nous avons ces données, que pouvons-nous en tirer pour répondre à notre question de recherche : « Comment sont représentés les mythèmes au sein de l’ouvrage, et quels sont les éléments qui les définissent ? ». Une chose importante à prendre en considération est le fait que l’auteure ait compilé ces récits, car elle n’était pas là lors des expéditions. Ainsi elle a choisi un certain style littéraire pour son récit, et a opéré des choix non négligeables tels que la façon de représenter le Nord. Le choix aussi des illustrations qui figurent dans l’œuvre véhicule et nourrit un imaginaire du Nord2. Le grand public tout comme une catégorie de personnes plus éduqués sur la question a en tête inconsciemment des éléments “attendus” quand on évoque le Nord. Ces éléments sont tout à fait présents dans l’ouvrage au niveau des dessins comme présenté ci-dessous.

Illustration "Aurores boréales"
“Aurores boréales”
Illustration "Troupeau de rennes"
“Troupeau de rennes”
Illustration "Glacier"
“Glacier”

Nous retrouvons dans ces dessins de la glace, des terres désolées, des montagnes de la neige etc, tant d’éléments “clichés” du grand Nord. Le choix de ces illustrations n’est pas anodin, et a été choisi dans le but de véhiculer cet imaginaire. Ces éléments figurent également au sein du texte, dans les différents récits. Avec les outils de visualisation, nous pouvons constater que des termes comme : “North”, “Mountain”, “Snow”, “Fishing”, “Winter” et “Cold” figurent parmi les mots les plus présent dans l’ouvrage. Cela nous confirme donc qu’au sein des différents récits, ces mythèmes sont omniprésents dans la narration.

Voyons maintenant comment les mythèmes sont définis.

Gephi : Outil "Graphe" Sélection du mythème "North" et éléments reliés à ce dernier.
Gephi : Outil “Graphe” Sélection du mythème “North” et éléments reliés à ce dernier.

Comme nous pouvons le constater pour le mythème “North”, on retrouve des mythèmes tels que “Winter”, “Cold”, “Arctic”, “Ocean” et “Death” qui sont en lien dans les récits. On remarque aussi que “North” et “Exploration” ont un lien très fort, étant donné qu’il s’agit du sujet du livre.

Gephi : Sélection du mythème "Cold " et éléments reliés à ce dernier.
Gephi : Sélection du mythème “Cold ” et éléments reliés à ce dernier.

Ici pour “Cold”, on retrouve en liens de mythèmes comme : “North”, “Travel”, “Greenland” ou encore “People”.

Gephi : Sélection du mythème "Death" et éléments reliés à ce dernier.
Gephi : Sélection du mythème “Death” et éléments reliés à ce dernier.

Enfin dans ce dernier cas, après sélection du mythème “Death”, on constate que “North”, “Travel”, “Mountain” et “Ship” sont reliés à ce dernier. Ces trois cas nous ont permis de remarquer dans un premier temps le nombre de corrélations par rapport à chaque terme. Pour le mot “North” il y avait beaucoup de mythèmes en lien. Pour “Cold” nous en avions moins et pour “Death” encore moins. Ce qui est normal étant donné que l’ouvrage traite d’explorations du grand Nord, il est naturel de revoir ce terme régulièrement. “Cold” est évidemment présent car il s’agit du grand Nord, et “Death” l’est un peu moins car la mort reste un événement peu courant mais tout de même important dans la narration, comme nous le montre l’intensité du lien.

Au vu de ces résultats nous pouvons affirmer que le Nord est perçu et représenté comme quelque chose d’austère et rude. Que ce soit au niveau du paysage avec les illustrations du livre, ou au niveau du récit.

Bibliographie :

Cet article fait partie des rendus d’étudiants et étudiantes dans le cadre d’un projet de didactique des humanités numériques.

  1. Mohnike, Thomas. « Narrating the North. Towards a Theory of Mythemes of Social Knowledge in Cultural Circulation », s. dhttps://hal.science/hal-03020605/document []
  2. Chartier, Daniel. « Qu’est-ce que l’imaginaire du Nord ? » Études Germaniques 282, no 2 (2016): 189‑200. https://doi.org/10.3917/eger.282.0189. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Maxime Duranton (10 mars 2023). ‘‘The Frozen North”: De quoi ça parle ? Feuillets du Nord. Consulté le 8 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/sdy9


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